Le programme 2003–2004

Platon

Platon (445–396 avant J.-C.),
Gorgias (-421)


Qu'on se le dise : Platon est encore au programme, Gorgias est encore au programme...

Il faut dire que le Gorgias fait partie des grands dialogues de la maturité. Le sujet en est la rhétorique (d'où le titre, Gorgias étant le second des sophistes et le grand maître de rhétorique du temps).
J'en profite pour attirer votre attention sur l'orthographe de rhétorique  le H est juste après le R ! Recopiez 50 fois le mot et vous ne ferez plus la faute ! C'est fait ? Vous pouvez maintenant reprendre votre lecture...

La rhétorique ? Il s'agit, bien entendu, du rôle moral de la rhétorique.
Gorgias admet qu'elle ne cherche pas le vrai, mais juge qu'elle est un instrument qu'on peut employer bien ou mal...
N'est-ce pas grave ?

Un disciple de Gorgias, Polos, se montre alors plus résolu que son maître ; et l'on s'aperçoit que ce sont les fins mêmes de l'homme qui sont en cause ; de fait, Polos admire la puissance des orateurs, mais Socrate considère qu'il est pire de commettre l'injustice que de la subir...

Détail de LA MORT DE SOCRATE, par Louis David, 1787 Un troisième personnage entre alors en scène, Calliclès, qui, poussant la thèse à sa limite, oppose à une justice de convention, le « juste selon la nature », c'est-à-dire le triomphe du plus fort !

Le débat se fait tendu. Calliclès est insolent.
Il laisse entrevoir, à plusieurs reprises, l'idée que Socrate, avec son refus de tout sens pratique, pourrait bien un jour être... condamné à mort !

Les allusion, évidemment, donnent une résonance tragique au débat, qui, après un calme exposé de Socrate, prêt à affronter la mort sans inquiétude, s'achève par un mythe sur le jugement des morts aux enfers.

Détail de LA MORT DE SOCRATE, par Louis David, 1787 Ce dialogue, très important, reflète donc dans toute son acuité la crise morale de la fin du Ve siècle et l'opposition irréductible des deux fins  –  le succès dans la vie politique (qu'offraient les sophiste) et la seule considération du bien (que poursuivait Socrate). Mesure... Démesure... Des uns et de l'autre... Sans commune mesure... Mesure de la démesure... Démesure de la mesure... Mesures à prendre... Il y a de quoi faire !


François Rabelais

Rabelais (vers 1483–1553),
Gargantua (1784)

Avant de pouvoir s'exclamer sans mesure et à grand gosier « Rabelais, c'est GEANT ! », les « taupins » devront souffrir... car Gargantua, c'est surtout E N O R M E ! Il faut affronter sans vertige de surprenantes prouesses « gigantales » et apprivoiser une langue à nulle autre pareille pour prendre la mesure de la démesure. Une démesure protéiforme, sans cesse revendiquée et généreusement déclinée : situations, personnages, langage, images...

Fac-similé du PROLOGUE de GARGANTUA « Il y a du gouffre dans le goinfre » écrivait Victor Hugo, lui aussi maître es démesure. D'ailleurs Maître Alcofribas avertit immédiatement son lecteur : tout comme Socrate dissimulait sous une laideur risible l'esprit le plus brillant de la Grèce, ce Gargantua d'apparence grotesque recèle des trésors de sagesse. Mais le texte ne livre pas facilement sa « substantificque moelle »... Rien n'est simple ici.

Avec Gargantua, Rabelais exploite le succès de Pantagruel paru deux ans plus tôt. Au lieu de donner une suite à son premier récit, comme il l’avait promis dans l’Épilogue, il remonte le temps et raconte l’histoire du père de Pantagruel.

Il n’invente pas le personnage de Gargantua, héros des Grandes et Inestimables Chroniques du grand et énorme géant Gargantua . À ce médiocre récit anonyme, Rabelais n’emprunte que quelques épisodes.

La structure de l’ouvrage (l’enfance du héros, son éducation, ses exploits guerriers et son triomphe final), doit plutôt aux romans de chevalerie. Mais c’est surtout dans l’actualité la plus immédiate que Rabelais trouve son matériau : le récit, d’un bout à l’autre, se fait l’écho des grandes questions morales, philosophiques et religieuses de l’époque, et l’épisode des guerres picrocholines n’est pas sans rappeler les visées impérialistes de Charles Quint...

Exclusivité C@pConcours :
téléchargez dans la rubrique "Sur les œuvres" l'article que j'ai publié
chez Ellipses (Collection Analyses et réflexions)
« Mesure de la démesure dans la guerre picrocholine »



Molière

Molière (1622–1673),
Don Juan (1665)

Depuis son apparition aux environs de 1630, le thème de don Juan s'est révélé l'un des plus stimulants dans la création littéraire et, accessoirement, dans l'art musical...
Cette fécondité s'explique, en partie, par une très singulière aptitude aux métamorphoses. Elle résulte surtout du fait que le personnage et les aventures de don Juan mettent fondamentalement en question nos idées modernes et occidentales de l'amour.

Don Juan demeure, pour l'opinion commune, le séducteur-né, scandaleux et fascinant tout à la fois, que caractérisent le nombre inhabituel de femmes qui se succèdent dans sa vie, la réciprocité du goût qu'il a pour elles et de celui qu'il leur inspire, le fait qu'il met la satisfaction de ce goût au-dessus de tous les plaisirs. Toute recréation du personnage de réfère à cet invariant, alors que la révolte qu'il suscite ou semble incarner varie en fonction des temps et des lieux...

Jean Vilar incarne Dom Juan en 1955Mais ne perdons pas de vue que le Dom Juan de Molière est essentiellement une œuvre de fantaisie, où les changements de décor, l'apparition d'un spectre, une statue qui s'anime constituaient pour le public le principal intérêt. Il n'en est que plus frappant d'observer certains traits que Molière y a mis, et qui vont loin.
Si Dom Juan est un débauché, c'est aussi un incrédule, et Molière en profite pour lui faire dire de belles impiétés. Il est vrai que son valet Sganarelle en est apparemment scandalisé. Mais en réalité, ce Sganarelle, qui croit au loup-garou et au moine bourru comme il croit au Ciel et à l'Enfer, est plus scandaleux encore que son maître et déshonore la foi bien plus sûrement que les blasphèmes du libertin. Démesures...

Le spectateur, fasciné par l'« ange radieux du désir » (J. Rousset) et saisi en même temps par l'« horreur de la Nature toute nue » (J. Guicharnaud), est sollicité par deux normes contradictoires dans cette pièce d'où a disparu le traditionnel pôle d'identification qu'incarnait chez Molière le personnage du raisonneur. Mesure et démesure...

Face à une société moralisatrice et grandiloquente –  à l'image du père, Dom Louis – qu'il démystifie par son silence ou son laconisme superbe, Dom Juan fait office de norme ; mais cette même norme est ébranlée (les didascalies peignent plusieurs fois le protagoniste dans l'embarras), ridiculisée (après le naufrage), disqualifiée (le gentilhomme manque à sa parole et se ravale au rang de tartufe) et finalement anéantie par le dramaturge. Le démystificateur est en parallèle l'objet de la démystification du texte, mais Dom Juan acquiert par là une ambivalence qui le transfigure en mythe pour la modernité.

Le théâtre de la Comédie française


Jacques Casari Le Webmestre