Synthèse 2001 :
Rapport École Navale

950 Candidats sur 1044 inscrits au concours se sont présentés cette année à l'épreuve de français synthèse. Il y a eu une copie blanche.

Le dossier proposé à la réflexion des candidats comprenait quatre textes d'essayistes contemporains : Roger Caillois, Mickael Bakhtine, Pierre Emmanuel, Frédéric Tristan ; et le thème en était la fête, ses origines, ses caractéristiques, sa place dans la vie sociale. Les résultats, tout à fait comparables à ceux des deux dernières années, sont, dans l'ensemble, satisfaisants : 305 copies, soit près d'un tiers des candidats, ont obtenu une note égale ou supérieure à 10 ; 355, soit cette fois un peu plus d'un tiers, se situent entre 7 et 9, et la moyenne générale s'établit à 8,24.

Comme nous le remarquions déjà dans le rapport 2000, de très nombreux candidats ont, en effet, assimilé les règles essentielles de l'exercice : nécessité de définir clairement en introduction le thème fédérateur du dossier proposé, de construire un plan qui permette un examen synthétique des textes, de souligner en conclusion l'intérêt particulier du sujet offert à la réflexion.

La compréhension des textes a, par contre, souvent laissé à désirer. On n'a pas toujours donné au mot sacré son sens exact ; on a parfois cru que R. Caillois s'élevait en moraliste contre les débordements inhérents à la fête ; on n'a souvent pas compris le paradoxe, souligné par P. Emmanuel, d'une société de plus en plus permissive et opulente mais de moins en moins capable de s'exprimer dans la fête.

Cependant, ce qui a peut-être le plus attiré l'attention du jury cette année, c'est le nombre de candidats (145, soit un peu plus de 15%) qui négligent systématiquement toute référence aux auteurs : beaucoup se contentent de désigner les textes par leur numéro d'ordre dans le dossier : le texte 1, le texte 2, etc..., et, trop souvent, ils procèdent comme ils pourraient éventuellement le faire pour une note de synthèse portant sur des textes administratifs, c'est-à-dire en faisant comme si l'identité et la singularité de chaque auteur n'avait aucune importance. Disons fermement que le candidat n'est nullement invité à " mixer " les textes pour produire une sorte d'opinion moyenne qui pourrait être celle de tout le monde. Tout au contraire, il est invité à confronter les observations, les idées, les points de vue personnels de tel ou tel écrivain ; il doit les rapprocher ou les opposer, les présenter enfin de façon cohérente et ordonnée, mais sans jamais oublier que ces observations, ces idées, ces points de vue sont chaque fois l'expression d'une pensée particulière, formulée à tel moment et dans telles circonstances. Le jury déplore d'autant plus cette erreur méthodologique qu'elle pénalise gravement certains candidats qui montrent par ailleurs toutes les qualités nécessaires de compréhension et de rédaction pour réussir parfaitement ce type d'exercice.

Pour le reste, le jury ne peut que recommander aux candidats de lire attentivement le sujet avant de se lancer dans la rédaction du devoir. Que dire du candidat qui pense qu'on attend de lui quatre notes de synthèse de 400 mots chacune, une pour chaque texte, ou de celui qui a perdu son temps à rédiger un développement pour chacun des quatre auteurs avant d'en consacrer un cinquième à l'ensemble du dossier ? D'autres, beaucoup plus nombreux, n'ont pas compris que la formulation de l'idée principale du dossier devait apparaître dans l'introduction de la note de synthèse et non pas faire l'objet d'un petit développement séparé qui n'est parfois même pas comptabilisé dans le nombre de mots.

Le libellé du sujet précise aussi clairement que le nombre de mots employés doit figurer sur la copie. Certains l'oublient ; d'autres dépassent le nombre de mots autorisés. Rappelons simplement ici les règles de correction adoptées par le jury et formulées dans le rapport 2000 : au-delà de 420 mots, une copie ne pourra obtenir plus de 7 sur 20, et au-delà de 500 mots, plus de 2 sur 20. Précisons aussi que le candidat ne doit utiliser dans le décompte des mots aucune fantaisie graphique assimilable à un signe distinctif, ni faire aucun commentaire sur la manière dont il a procédé pour effectuer ce décompte.

Sur le plan de la forme, ce jury a encore relevé une méconnaissance des règles les plus élémentaires de la conjugaison des verbes irréguliers - et même réguliers - et de l'accord des participes passés ; des erreurs sur le genre des mots (une solstice, une apogée) ; des incorrections dans l'emploi des conjonctions de subordination (bien que, après que... ) ou dans le régime des verbes (pallier par exemple) ; des impropriétés ou des anglicismes (initier pour commencer, réaliser pour comprendre) ; une utilisation très fantaisiste de la ponctuation et des majuscules, et même des transcriptions erronées du nom des auteurs comme Cailloux ou Caillot pour Caillois.

Pour compléter ces quelques indications et permettre aux futurs candidats de mieux apprécier les exigences de cette épreuve, nous donnons ci-après la transcription des deux meilleures copies.

La première a obtenu la note de 19 sur 20.

Synthèse de 397 mots

" Quatre auteurs contemporains : Roger Caillois, Mickael Bakhtine, Pierre Emmanuel et Frédéric Tristan s'interrogent, en ethnologues, sur le sens de la fête, sa dimension atemporelle et universelle. Quels en sont les fondements ? Qu'en est-il de sa fonction sociale et de ses enjeux humains ?

Dans une large mesure, tous s'accordent à dire que la fête est l'expression d'un héritage et d'une identité culturels. D'une part, elle permet à chacun de revendiquer son appartenance à un groupe. D'autre part, rythmée par les rites ancestraux, elle est l'occasion de célébrer la mémoire des générations passées et de perpétuer les traditions. Tandis que Pierre Emmanuel et Frédéric Tristan soulignent le caractère cyclique de la fête, Mickael Bakhtine et Roger Caillois, remarquant l'influence du calendrier religieux, mettent en exergue l'importance fondamentale du sacré qui participe de la valeur exceptionnelle de la fête aux yeux de chaque individu.

Toutefois, les opinions divergent, quant à son rôle social. Pour Frédéric Tristan, le mouvement dialectique de la crainte à la joie renforce paradoxalement le sacré ; l'enjeu cathartique de la fête garantirait alors la stabilité de l'ordre établi. En revanche, Roger Caillois et Pierre Emmanuel, éclairant l'antagonisme entre la fête et la contingence du quotidien, mettent en garde leurs contemporains contre l'uniformisation des masses et l'avènement du pragmatisme et du rationalisme mercantile. L'anomymat menace en ce sens l'unité sociale perceptible dans la fête.

In fine, la fête n'est-elle pas pour autant le symbole avéré d'une transcendance et d'une libération collectives ? Selon Mickael Bakhtine, la réponse est évidente : retraçant en historien les origines et les évolution du carnaval, il insiste sur sa dimension résolument populaire. L'aspect dionysiaque de la fête traduit aux yeux des quatre essayistes l'épanouissement et la connivence au sein d'un groupe. Des civilisations primitives, autiques puis médiévales aux sociétés actuelles, elle est le fruit d'une imagination et d'une folie créatrices, et libère l'individu de toute contrainte économique ou morale. En ce sens, Pierre Emmanuel se prend à rêver d'un idéal humaniste de la fête, qui serait avant tout partage.

Les quatre auteurs associent dans leurs propres analyse sociologique à la lumière de l'histoire, et réflexions philosophiques et critiques tantôt enthousiastes tantôt amères, afin de mieux cerner les enjeux futurs de la fete dans notre société. "

Ce devoir est très solidement construit et révèle une excellente compréhension des textes ainsi qu'une réelle maîtrise du langage. L'introduction dégage avec netteté le thème fédérateur du dossier et ses principales harmoniques. Trois paragraphes - très équilibrés - analysent successivement l'origine de la fête, sa fonction sociale, son rôle libérateur. Une phrase de conclusion suffit au candidat pour apprécier avec vigueur la nature et la portée de la réflexion qui était soumise à son examen. Il a su mettre en évidence les points essentiels permettant des rapprochements ou des oppositions pertinents entre les auteurs ; il a caractérisé les textes avec bonheur : réflexions d'ethnologues, analyses sociologiques à la lumière de l'histoire ; surtout, il a bien perçu la dimension diachronique de la réflexion qui lui était proposée, depuis les considérations de R. Caillois, M. Bakhtine ou F. Tristan concernant l'époque primitive, antique ou médiévale jusqu'aux observations désabusées de P. Emmanuel sur ce que la fête est devenue dans le monde contemporain.

La seconde copie a obtenu la note de 18 / 20.

Synthèse en 400 mots

" De l'antiquité jusqu'à nos jours, la fête a joué un rôle majeur dans toutes les sociétés. Roger Caillois, Mickael Bakhtine, Pierre Emmanuel et Frédéric Tristan, auteurs et philosophes contemporains, se sont interrogés, au travers d'essais ou d'articles, sur la place de la fête dans la société : quelles sont ses caractéristiques, ses origines ; en quoi constitue-t-elle un besoin humain et social ?

Comme l'explique R. Caillois, la fête est d'abord une accumulation d'excès, une bombance générale, où selon Pierre Emmanuel, la rationnalité n'a pas sa place. D'après Bakhtine, le carnaval, fête actuelle par excellence, réunit ainsi toutes les formes de folie populaire.

Car la fête est une véritable folie passagère, en particulier: la fête archaïque, que décrit R. Caillois.

Enfin, la fête est aussi et surtout, selon l'expression de F. Tristan, un " passage à l'envers ", où, pour Bakhtine, l'ancien est détrôné, le nouveau couronné : ainsi, que de fêtes où l'on élit un roi des fous.

Mais quelle est donc l'origine de telles frénésies collectives ?

La plupart des fêtes sont liées à des cycles, à un calendrier ; F. Tristan souligne leur concentration autour de dates clef, tels les solstices, ce qui prouve le rapport fondamental entre les fêtes et la nature.

Par ailleurs, on ne peut nier le lien entre fête et religion ; les fêtes populaires coïncident presque toujours avec des fêtes religieuses; pour R. Caillois et F. Tristan, la période de jeûne et de privation précédant une fête lui confère un indéniable caractère sacré.

Cependant, c'est de raisons sociologiques plus profondes que la fête tire probablement ses origines.

Elle est d'abord, selon P. Emmanuel, un " mode de communication ", créateur et libérateur, qui permet de souder une communauté, d'abolir toute ségrégation.

Ce désordre localisé est aussi, paradoxalement, nécessaire à l'ordre général. Il permet un défoûlement contrôlé, sans lequel une société risque d'exploser. En outre, selon F. Tristan, la fête, trangression calculée de l'interdit, permet d'en prendre conscience ; cette profanation canalisée donne au sacré tout son sens. Pour P. Emmanuel, il est d'ailleurs nécessaire, dans notre société robotisée, de " réinventer la fête ", pour éviter une possible " révolution sauvage ".

Ainsi la fête, accumulation de tous les excès, tire non seulement ses origines de la nature et du sacré, mais aussi de la nécessité de renforcer l'ordre social par des désordres périodiques. "

Ce devoir présente lui aussi de réelles qualités d'organisation. L'introduction, en particulier, est très nourrie : la perspective diachronique dont nous parlions à l'instant y est tout de suite soulignée ; les auteurs sont nommés et situés dans le temps "auteurs et philosophes contemporains " ; la nature des textes est précisée "essais ou articles" ; les principales questions soulevées par le dossier sont bien repérées. Les différents paragraphes s'enchaînent avec rigueur ; les idées sont nettement dégagées en particulier en ce qui concerne les rapports de la fête avec les cycles naturels ou les événements religieux. L'expression est tout à fait satisfaisant même si elle n'est pas aussi maîtrisée que dans le devoir précédent. Deux légères fautes d'orthographe sont à regretter: rationalité écrit avec deux n et défoulement avec un accent circonflexe sur le u.