Synthèse 1999 :
Rapport École Navale
Les copies des concours 1999 confirment dans leur ensemble la bonne, voire la très bonne préparation des candidats à l'épreuve de synthèse. Elles témoignent généralement d'une maîtrise correcte de la méthode et de l'expression. Il est de plus en plus rare de trouver des devoirs qui se contentent d'amalgamer les points de vue, sans souci de l'identité et de la singularité de chacun des auteurs. De même les copies s'en tenant à une simple juxtaposition de quatre résumés sont en nette diminution. Et certains candidats ont su faire preuve d'une réelle culture devant la réflexion sur l'histoire et le métier d'historien qui était, cette année, au centre des quatre textes proposés.
Afin cependant de dissiper les éventuels malentendus qui pourraient demeurer sur la nature de l'exercice et pour permettre aux futurs candidats de mieux comprendre ce qu'on attend d'eux, nous donnons ci-après la transcription des deux meilleures copies, qui ont l'une et l'autre obtenu 17/20.
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Les auteurs, Thucydide, Thierry, Bloch et Veyne, s'expriment sur l'histoire et exposent leur point de vue sur le travail de l'historien en montrant le matériel dont celui-ci dispose et comment il doit s'en servir.
Pour chacun des auteurs le matériel de l'historien est principalement constitué par des traces, récits ou témoignages, mais chacun d'entre eux a une hiérarchie personnel pour leur usage. Ainsi Thucydide se méfie-t-il des récits et poèmes car ceux qui les écrivent et ceux qui les relatent ne se soucient que rarement de leur véracité. Il privilégie donc les traces physiques et les témoignages ainsi que l'expérience personnelle de l'his1orien. Au contraire A. Thierry fait confiance aux récits plus ou moins romancés et préfère les anecdotes aux événements plus importants. Pour M. Bloch et P. Veyne, les traces sont les supports principaux du travail de l'historien, mais Bloch ne leur trouve pas de valeur sans l'esprit de l'historien pour les faire parler.
En effet, Bloch estime que le travail de l'historien doit commencer par la recherche d'un axe d'étude. Sans ce guide, les documents restent muets et l'historien ne peut travailler efficacement. De même pour Thucydide, l'historien se doit d'être actif. Il lui faut éviter des infidélités historiques des artistes et pour cela il doit enquêter par lui-même et recouper les témoignages afin de trouver la vérité historique. Un historien ne doit pas être un artiste et chercher à plaire mais doit rester objectif.
Au contraire, Thierry et Veyne ne « renient » pas un coté artistique au travail de l'historien. Pour Veyne, l'historien connaît l'événement de façon subjective et fragmentaire et s'efforce de la reconstituer. C'est pourquoi, les documents sont interprétés et reliés plutôt que simplement juxtaposés, ce en quoi les travaux de l'historien et du romancier se rejoignent. C'est ce que l'on retrouve de façon plus flagrante chez Thierry qui pense que la forme est aussi importante que le fonds et qui fait de l'histoire l'art de faire revivre une société passée à travers des anecdotes placées dans leur contexte.
Si leurs méthodes diffèrent, les auteurs se rejoignent donc au moins sur le rôle essentiel de l'historien : celui-ci doit s'efforcer d'informer sur une époque.
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Ce devoir, bien écrit dans l'ensemble, est également clair par sa présentation en trois paragraphes précédés d'un bref préambule et suivis d'une conclusion. L'introduction met en évidence le thème qui sert ensuite de fil conducteur à la démonstration : comment l'historien peut-il traiter les « traces » (terme judicieusement emprunté à Thucydide) matérielles orales, textuelles du passé ?
Conformément aux exigences synthétiques de l'exercice, le développement parvient à relever les points principaux de ce débat autour de l'Histoire : le problème de la subjectivité de l'historien, le dilemme fond/forme, la double préoccupation de la réflexion critique (M. Bloch) et de l'écriture (A. Thierry). Évitant la pure description des quatre textes pris successivement (défaut majeur des copies médiocres), le devoir s'attache au contraire subtilement à mentionner les auteurs en procédant à des confrontations et à des rapprochements pertinents. Cette présentation dialectique est efficacement soulignée par des conjonctions ou des locutions adverbiales (« au contraire », « mais », « en effet ») qui assurent les transitions et donnent de la vigueur à l'exposé.
L'ensemble pouvait bien sûr être amélioré. À l'emploi malencontreux du terme de « fonds » aurait du être préféré celui de « fond » (par opposition à « forme ») celui d' « anecdote » employé pour désigner ce qu'A. Thierry conçoit comme « tableau » ou « récit par masses détachées » est une impropriété et il eut été souhaitable de supprimer quelques-unes des treize occurrences du substantif « historien ». D'autre part, la conclusion est décevante, trop vague et trop générale pour être convaincante. L'auteur du devoir aurait par ailleurs pu tenir compte de la situation historique des quatre documents, en notant, par exemple, la spécificité de l'opinion d'un auteur ancien (Thucydide), ou encore l'écart entre le point de vue d'un écrivain du XIXème siècle et celui des deux historiens contemporains.
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Devoir n° 2
Les quatre textes ont en commun d'analyser le travail d'investigation et d'écriture de l'historien.
L'étape initiale de celle entreprise est la recherche d'informations, et les sources sont diverses : à la situation particulière de Thucydide, historien de sa propre époque, qui peut lui-même recueillir des témoignages sans l'aide de documents écrits, s'opposent les démarches des trois mares auteurs, qui eux doivent s'en contenter. Mais si Thierry estime que ces documents ont une valeur importante, Veyne va plus loin encore, en affirmant qu'ils sont la source essentielle de connaissance pour l'historien contemporain. Cependant, ils restent insuffisants car inutilisables d'après Bloch si l'on ne sait pas les analyser correctement.
En effet, l'esprit critique apparaît très important pour Bloch, qui préconise d'écarter tout préjugé afin de rendre compte de l'histoire de façon pertinente : ainsi l'historien attentif doit se poser de nombreuses questions pour progresser dans son entreprise de restitution. De même Thucydide recoupe les témoignages de chacun pour rester le plus fidèle possible à ce qui semble être la réalité historique. Mais Veyne avertit que cet effort est freiné par la vision nécessairement imparfaite offerte par un événement passé, et Thierry, au contraire de Thucydide, voit dans la diversité des dialogues le reflet même de l'histoire.
C'est pourquoi, Thierry considère que tout récit historique doit être une mosaïque d'événements, montrant la diversité des mœurs propres à une époque : l'historien doit, à partir d'un point focal particulier, élargir les perspectives du lecteur, et parfois forcer le trait de certains événements pour rendre l'histoire moins figée. Dans une moindre mesure, même s'il refuse d'assimiler l'histoire à un ensemble morcelé, Veyne considère l'historien comme un narrateur, qui propose une interprétation particulière - puisque sa perception est incomplète, simplifiée - de l'Histoire, à la manière d'un écrivain. C'est ce que Thucydide tente au contraire d'éviter, en épurant au maximum l'information pour ne conserver que les faits réels. Bloch radicalise encore ce point de vue, puisqu'il n'accorde pas de place au superficiel, et propose une progression plus ou moins linéaire, logique, dans le récit.
Les démarches résolument méthodiques de Bloch ou de Thucydide contrastent donc avec la vision plus critique de Veyne, et celle, plus original, de Thierry, qui conçoit l'histoire dans ses multiples nuances.
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Comme le précédent, ce devoir se distingue par une organisation à la fois claire et efficace, dans le strict respect de la limite de quatre cents mots dont les ressources sont très bien exploitées. L'introduction remarquablement concise a le mérite de présenter clairement le dossier et la conclusion, qui résume et précise les divergences majeures entre les quatre points de vue exprimés, remplit pleinement sa fonction, qui est de tirer un enseignement de l'ensemble. Cette copie révèle d'autre part une lecture attentive des quatre textes et un louable effort pour en restituer les nuances mais elle témoigne surtout d'un réel souci de mettre en relation — en les rapprochant ou en les opposant — les points de vue de Thucydide, d'Augustin Thierry, de Paul Veyne et de Marc Bloch, à propos des divers aspects du métier d'historien qu'ils abordent tour à tour, sous des angles différents.
On peut cependant regretter que l'expression, correcte dans son ensemble, reste un peu sèche et que le candidat n'ait pas mieux veillé à éviter répétitions, maladresses (la vision [...] offerte par un événement passé, absence de prénom devant le nom des auteurs vivants) voire impropriétés (faits réels pour avérés, par exemple). D'autre part, l'originalité de la démarche d'A. Thierry aurait pu être mieux dégagée et le texte de Marc Bloch est plus scrupuleusement restitué l'accent aurait du être mis notamment Sur le préjugé que dénonce M. Bloch.
Il reste que ces deux copies ont toutes les qualités d'une très bonne synthèse : intelligence des textes, clarté de l'expression et rigueur méthodologique.