Le texte ci-dessous permet de répondre aux questions. |
Si on se demande où va une humanité dont chaque groupe s'enfonce plus âprement que jamais dans la conscience de son intérêt particulier en tant que particulier et se fait dire par ses moralistes qu'il est sublime dans la mesure où il ne connaît pas d'autre loi que cet intérêt, un enfant trouverait la réponse : elle va à la guerre la plus totale et la plus parfaite que le monde aura vue, soit qu'elle ait lieu entre nations, soit entre classes. Une race dont un groupe porte aux nues un de ses maîtres (Barrès) parce qu'il enseigne : " Il faut défendre en sectaire la partie essentielle de nous-mêmes ", cependant que le groupe voisin acclame son chef parce qu'il déclare en violant un petit peuple sans défense : " Nécessité n'a pas de loi " est mûre pour ces guerres zoologiques dont parlait Renan, qui ressembleront, disait-il, à celles que se livrent pour la vie les diverses espèces de rongeurs et de carnassiers. [...]
Ces sombres pronostics ne me paraissent pas devoir être modifiés autant que certains le croient par la vue d'actes résolument dirigés contre la guerre, comme l'institution d'un tribunal supernational et les conventions récemment adoptées par des peuples en conflit. Imposées aux nations par leurs ministres plutôt que voulues par elles, dictées uniquement par l'intérêt ? la crainte de la guerre et de ses dommages ? nullement par un changement de moralité publique, ces nouveautés, si elles s'opposent peut-être à la guerre, laissent intact l'esprit de guerre et rien n'autorise à penser qu'un peuple qui ne respecte un contrat que par des raisons pratiques ne le violera pas le jour qu'il en trouvera la violation plus profitable. La paix, si jamais elle existe, ne reposera pas sur la crainte de la guerre mais sur l'amour de la paix ; elle ne sera pas l'abstention d'un acte, elle sera l'avènement d'un état d'âme (1). En ce sens, autant le moindre écrivain peut la servir, autant les tribunaux les plus puissants ne peuvent rien pour elle. Au surplus, ces tribunaux laissent indemnes les guerres économiques entre nations et les guerres entre classes.
La paix, faut-il le redire après tant d'autres, n'est possible que si l'homme cesse de mettre son bonheur dans la possession des biens " qui ne se partagent pas ", et s'il s'élève à l'adoption d'un principe abstrait et supérieur à ses égoïsmes ; en d'autres termes, elle ne peut être obtenue que par une amélioration de sa moralité. Or, non seulement, comme nous l'avons montré, l'homme s'affirme aujourd'hui dans le sens précisément contraire, mais la première condition de la paix, qui est de reconnaître la nécessité de ce progrès de l'âme, est fortement menacée. Une école s'est fondée au XIXe siècle, qui invite l'homme à demander la paix à l'intérêt bien entendu, à la croyance qu'une guerre, même victorieuse, est désastreuse, surtout aux transformations économiques, à l'" évolution de la production ", en un mot à des facteurs totalement étrangers à son amélioration morale, dont au surplus, disent ces penseurs, il serait peu sérieux de rien attendre ; en sorte que l'humanité, si elle avait quelque désir de la paix, est invitée à négliger le seul effort qui pourrait la lui donner, et qu'elle ne demande d'ailleurs qu'à ne point faire. La cause de la paix, toujours si entourée d'éléments qui travaillent contre elle, en a de nos jours trouvé un de plus : le pacifisme à prétention scientiste.
Je marquerai à ce propos d'autres pacifismes, dont j'ose dire qu'ils ont, eux aussi, pour principal effet d'affaiblir la cause de la paix, du moins près des esprits sérieux :
1. D'abord le pacifisme que j'appellerai vulgaire, en qualifiant ainsi celui qui ne sait faire autre chose que flétrir l'" homme qui tue " et railler les préjugés du patriotisme. J'avoue que, lorsque je vois des docteurs, s'appelassent-ils Montaigne, Voltaire ou Anatole France, faire consister tout leur réquisitoire contre la guerre à prononcer que les apaches de barrière ne sont pas plus criminels que les chefs d'armée et à trouver bouffons des gens qui s'entretuent parce que les uns sont vêtus de jaune et les autres de bleu, j'ai une tendance à déserter une cause qui a pour champions de tels simplificateurs et à me prendre d'affection pour les mouvements d'humanité profonde qui ont créé les nations et qu'on blesse là si grossièrement.
2. Le pacifisme mystique, en désignant sous ce nom celui qui ne connaît que la haine aveugle de la guerre et refuse de rechercher si elle est juste ou non, si ceux qui la font attaquent ou se défendent, s'ils l'ont voulue ou la subissent. Ce pacifisme, qui est essentiellement celui du peuple (c'est celui de tous les journaux populaires dits pacifistes) a été incarné fortement en 1914 par un écrivain français, lequel, ayant à juger entre deux peuples en lutte dont l'un avait fondu sur l'autre au mépris de tous ses engagements et l'autre se défendait, n'a su que psalmodier : " J'ai l'horreur de la guerre " et les renvoyer dos à dos sous une même flétrissure.[...]
3. Le pacifisme à prétention patriotique, je veux dire qui prétend exalter l'humanitarisme, prêcher le relâchement de l'esprit militaire, de la passion nationale et cependant ne pas nuire à l'intérêt de la nation, ne pas compromettre sa force de résistance en face de l'étranger.
Julien BENDA,La trahison des clarcs,,
1927
Vous résumerez le texte suivant en 100 mots (± 10%).
Vous indiquerez, en tête de votre copie, le nombre de mots utilisés.
Vous expliquerez :
1/ " Le pacifisme à prétention scientiste ".
2/ " La paix [...] n'est possible que si l'homme cesse de mettre son bonheur dans la possession des biens qui " ne se partagent pas ".
La paix " ne reposera pas sur la crainte de la guerre mais sur l'amour de la paix ; elle ne sera pas l'abstention d'un acte, elle sera l'avènement d'un état d'âme ". Vous commenterez ce jugement, en montrant comment les uvres du programme permettent éventuellement de le discuter.
Fin de l'énoncé.