Concours 1997

ÉPREUVE COMMUNE

FILIÈRES MP – PC – PSI – TSI – TPC



RÉSUMÉ DE TEXTE

6 POINTS

Vous résumerez le texte suivant en 100 mots (± 10 %), en ne vous attachant qu'aux grands mouvements de la pensée.
En tête de votre copie, vous indiquerez le nombre de mots utilisés.



QUESTIONS

4 POINTS

1/ Donnez un synonyme d'affectation dans l'expression « où il ne voit qu'affectation  ». (1 point)

2/ À quelles œuvres de Pascal et de Stendhal, Valéry peut-il faire allusion ici ? (1 point)

3/ Expliquez en deux lignes : «  le travail d'embellir  ». (1 point)

4/ Expliquez en trois ou quatre lignes : «  les auteurs de confessions ou de souvenirs ou de journaux intimes sont invariablement les dupes de leur espoir de choquer ; et nous, dupes de ces dupes  ». (1 point)



DISSERTATION

10 POINTS

«  La confidence toujours songe à la gloire, au scandale, à l'excuse, à la propagande  ». Les œuvres au programme vous invitent-elles à souscrire à ce jugement ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur des exemples précis.

Votre devoir ne devra pas excéder 80 lignes.

Il sera tenu le plus grand compte de la présentation générale et de l'orthographe.


Ce qui frappe le plus dans une page de Stendhal, ce qui sur-le-champ le dénonce, attache ou irrite l'esprit, — c'est le Ton. Il possède, et d'ailleurs affecte, le ton le plus individuel qu'il soit en littérature.

Et de quoi ce ton est-il fait ? — Je l'ai peut-être déjà dit : Être vif à tous risques ; écrire comme on parle quand on est homme d'esprit, avec des allusions même obscures, des coupures, des bonds et des parenthèses ; écrire presque comme on se parle tenir l'allure d'une conversation libre et gaie ; pousser parfois jusqu'au monologue tout nu toujours et partout, fuir le style poétique, et faire sentir qu'on le fuit, qu'on déjoue la phrase per se (1), qui, par le rythme et l'étendue, sonnerait trop pur et trop beau, atteindrait ce genre soutenu que Stendhal raille et déteste, où il ne voit qu'affectation, attitude, arrière-pensées non désintéressées.

Mais c'est une loi de la nature que l'on ne se défende d'une affectation que par une autre.

Ce dessein, ces interdictions qu'il se prescrit se résument à faire entendre une voix réelle ; sa prétention à lui le conduit à vouloir accumuler dans une œuvre tous les symptômes les plus expressifs de la sincérité. Son invention en matière de style fut sans doute d'oser écrire selon son caractère qu'il connaissait, et même — qu'il imitait à merveille.

Je ne hais pas ce ton qu'il s'était fait. Il m'enchante parfois, il m'amuse toujours ; mais au contraire de l'intention de l'auteur, par l'effet de comédie que tant de sincérité et quelque peu trop de vie me produisent inévitablement. Je m'accuse de trouver ses intonations trois ou quatre fois trop sincères ; je perçois le projet d'être soi, d'être vrai jusqu'au faux. Le vrai que l'on favorise se change par là insensiblement sous la plume dans le vrai qui est fait pour paraître vrai. Vérité et volonté de vérité forment ensemble un instable mélange où fermente une contradiction et d'où ne manque jamais de sortir une production falsifiée.

Comment ne pas choisir le meilleur, dans ce vrai sur quoi l'on opère ? Comment ne pas souligner, arrondir, colorer, chercher à faire plus net, plus fort, plus troublant, plus intime, plus brutal que le modèle ? En littérature, le vrai n'est pas concevable. Tantôt par la simplicité, tantôt par la bizarrerie, tantôt par la précision trop poussée, tantôt par la négligence, tantôt par l'aveu de choses plus ou moins honteuses, mais toujours choisies, — aussi bien choisies que possible, — toujours, et par tous moyens, qu'il s'agisse de Pascal, de Diderot, de Rousseau ou de Beyle (2) et que la nudité qu'on nous exhibe soit d'un pécheur, d'un cynique, d'un moraliste ou d'un libertin, elle est inévitablement éclairée, colorée et fardée selon toutes les règles du théâtre mental. Nous savons bien qu'on ne se dévoile que pour quelque effet. Un grand saint le savait qui se dévêtit sur la place. Tout ce qui est contre l'usage est contre nature, implique l'effort, la conscience de l'effort, l'intention, et donc l'artifice. Une femme qui se met nue, c'est comme si elle entrait en scène.

Il y a donc deux manières de falsifier : l'une par le travail d'embellir; l'autre, par l'application à faire vrai.

Ce dernier cas est peut-être celui qui révèle la plus pressante prétention. Il marque aussi un certain désespoir d'exciter l'intérêt public par les moyens purement littéraires. L'érotisme n'est jamais loin des véridiques.

D'ailleurs, les auteurs de confessions ou de souvenirs ou de journaux intimes sont invariablement les dupes de leur espoir de choquer ; et nous, dupes de ces dupes. Ce n'est jamais soi-même que l'on veut exhiber tel quel ; on sait bien qu'une personne réelle n'a pas grand’chose à nous apprendre sur ce qu'elle est. On écrit donc les aveux de quelque autre plus remarquable, plus pur, plus noir, plus vif, plus sensible, et même plus soi qu'il n'est permis, car le soi a des degrés. Qui se confesse ment, et fuit le véritable vrai, lequel est nul, ou informe, et, en général, indistinct. Mais la confidence toujours songe à la gloire, au scandale, à l'excuse, à la propagande.

Paul VALÉRY, Études Littéraires, Stendhal in VARIÉTÉ,
Éd. Pléiade, pp. 569–571.