Il est agréable de signaler que beaucoup des candidats interrogés, en particulier les élèves des
lycées militaires, manifestent une grande motivation : Saint-Cyr représente pour eux un horizon
visé de longue date et correspondant à une vocation, au sens fort du terme. Leur pugnacité
durant l'oral témoigne de cette volonté mûrie, de leur souci de communiquer, en particulier
durant l'entretien, leur conviction d'avoir choisi la voie qui leur convient. L'on ne peut
que souhaiter aux jeunes gens qui réussiront d'être à la hauteur de leurs ambitions et d'avoir
le courage de leurs velléités.
Cette attitude résolue et réfléchie quelles que soient les défaillances de la prestation
(car il ne suffit pas toujours de vouloir pour pouvoir !), n'est évidemment pas le fait de
tous les candidats. L'on regrette la démotivation évidente de certains, l'absence de
préparation à l'épreuve spécifique du concours Saint-Cyr, les lacunes étonnantes de la
culture générale, l'inaptitude à communiquer en gardant la bonne distance avec l'examinateur.
Un oral donc très contrasté où l'on voit se succéder des candidats dont chacun possède
un profil singulier, même les élèves des lycées militaires, dont le parcours pourrait
sembler analogue, présentent d'intéressantes disparités : rien d'uniforme en l'occurrence,
ce qui ne peut que stimuler l'intérêt de l'examinateur.
Conditions de l'épreuve :
Texte à préparer :
Le candidat se voit remettre , au moment où il se présente devant l'examinateur, un texte de 30 à 40 lignes , publié au XXe siècle , en prose (le cas le plus fréquent) ou en vers. L'extrait proposé est tiré soit d'&156;uvres littéraires (romans autobiographies, pièces de théâtre, recueils poétiques...) soit d'essais au sens large : essais critiques (par exemple Qu'est-ce que la littérature ? de Jean-Paul Sartre), essais relevant des sciences humaines (Histoire de la folie de Michel Foucault, Cinq études d'ethnologie de Michel Leiris, Eloge de la fuite de Henri Laborit...). Ne sont retenus que les textes associant une pensée rigoureuse et une qualité littéraire, ce qui rend relativement rares les extraits d'articles journalistiques (numéros spéciaux en général, tel un article sur le cinéma emprunté au Monde).
Temps de préparation : 30 minutes.
En salle de préparation , le candidat dispose d'une notice récapitulant les modalités de l'épreuve :
Cette petite innovation a permis d'éviter les questions réitérées de la session 1997: "Qu'est-ce que je dois faire au juste ?", "C'est un résumé, une analyse, un commentaire, une discussion, une synthèse (etc) ?" Autant d'interrogations qui stigmatisaient d'avance une préparation limitée voire absente, à l'épreuve de Français de Saint-Cyr.
Un dictionnaire Robert des noms communs est mis à la disposition des candidats sur la table de travail. Certains ont su en faire bon usage.
Déroulement de l'épreuve
Durée : 30 minutes.
Le candidat doit savoir gérer son temps de parole, en ne sacrifiant aucune des quatre étapes de l'épreuve :
après une brève introduction qui rappelle le nom de l'auteur, le titre de l'uvre et situe l'extrait (par exemple, dans une perspective historique et culturelle ou en fonction d'une problématique donnée), l'on attend une lecture à voix haute de l'extrait ou d'une partie de l'extrait (en fonction des prescriptions de l'examinateur).
suit une analyse du texte, étape essentielle et qui déçoit souvent les attentes (il arrive qu'une page littéraire très dense soit survolée à la vitesse du son : 3 minutes pour 30 lignes). Faut-il rappeler que le texte proposé à l'analyse n'est pas un "amuse-gueule" destiné à mettre en bouche (ou en voix) le candidat, mais la matière même de son interrogation. Certes, il est bon d'en tirer la "substantifique moëlle", encore faut-il savoir goûter le texte et en distiller la saveur, sans excessive précipitation. A priori , il faut se convaincre que le texte a été soigneusement choisi, en raison de sa teneur intellectuelle et des multiples intérêts qu'il peut receler. Il est imprudent de laisser l'examinateur sur sa faim et de croire faire illusion en consacrant la majeure partie de son temps de parole à l'exposé personnel.
Cette discussion, dont l'orientation est laissée à l'initiative du candidat, peut porter sur l'ensemble du texte (sous la forme d'un commentaire réfléchi), sur l'un des enjeux les plus importants de celui-ci, ou combiner quelques-uns d'entre eux choisis parce qu'ils constituent des points névralgiques objet d'une possible discussion.
Le choix du sujet de réflexion est donc à la fois libre et contraint: il se situe dans le prolongement de l'analyse du texte, mais permet au candidat d'élargir les perspectives et de révéler sa maturité intellectuelle.
L'ultime étape de l'épreuve est l'entretien avec l'examinateur, moment décisif où, dans le meilleur des cas, se révèlent des potentialités encore mal mises en valeur. Etape pour laquelle il est indispensable de conserver des munitions afin de savoir riposter, dans le bon sens du terme, aux "balles" envoyées par l'examinateur. Celui-ci cherche à exercer une maïeutique qui guide le candidat vers des prolongements ou réorientations de son discours il convient de l'affronter comme partenaire d'un dialogue non comme figure d'agresseur cherchant à détecter les points faibles.
Remarques et conseils:
A l'intention des nouveaux candidats et peut-être des nouveaux enseignants en classes préparatoires scientifiques, nous reformulerons en les adaptant à la session 1998, les commentaires et critiques mentionnés dans le rapport de l'année dernière.
Les défauts majeurs concernent les points suivants :
Le temps de parole est souvent trop court: le candidat disposant, avant l'entretien de 15 à 20 minutes pour son exposé (analyse et discussion) l'on s'étonne de voir tant de candidats s'arrêter de parler au bout de 4 à 5 minutes. Ils semblent incapables de prendre en charge de façon autonome leur discours et certains sont paradoxalement soulagés de voir l'examinateur prendre la relève pour les interroger et engager une véritable reprise. Certes, ils peuvent ainsi corriger partiellement l'impression laissée par une prestation forcément médiocre parce qu'écourtée. Mais l'on attend de candidats à ce concours un esprit d'initiative plus aiguisé: ils ne sont pas là uniquement pour répondre à des questions.
Le déséquilibre est souvent flagrant entre l'analyse du texte et la discussion. Il convient
de ne pas parcourir hâtivement le texte en lui réglant son sort en 3 minutes. C'est faire
preuve d'une curieuse désinvolture à l'égard de textes denses et substantiels; c'est surtout
montrer qu'on a bien du mal à cerner l'essentiel d'un texte et que les outils d'analyse font
défaut. L'examinateur a alors droit à un plat résumé à la reformulation paraphrastique
(et maladroite) du texte rien n'est vu, rien n'est dit du contexte dans lequel se situe le
texte , de sa composition (qui ne suit pas forcément un ordre logique), des thèmes abordés et
de leur combinaison , des enjeux et stratégies d'écriture.
Certains semblent avoir oublié, au cours de leurs années de classes préparatoires le bagage
dont ils disposaient forcément au moment de passer en classe de Première, l'épreuve anticipée
de Français ! Cet effacement des connaissances et des savoir-faire ne laisse pas d'être
inquiétant. Les uvres au programme (1998 et 1997) sont la plupart du temps les seules
balises sur un terrain aux contours incertains: la littérature, son histoire, ses genres,
ses courants et mouvements, les spécificités de son langage... Les réminiscences sur Les
Confessions, Les Mots et Les mémoires d'Hadrien sont elles-mêmes souvent
nébuleuses: peut-on parler de culture pour des connaissances effacées au bout d'un an, comme
l'ont montré de piteuses analyses d'extraits des Mots ? L'on ne peut que conseiller
aux futurs admis de continuer à s'entraîner en ce domaine, comme ils entraînent leur corps
sur le plan sportif... oui, la culture est peut-être aussi ce qui reste quand on a tout oublié,
et l'on peut, de façon plus optimiste, souhaiter que des officiers ne soient pas hermétiques
à ce que peuvent leur apporter la littérature et les autres arts, dans leur approche
d'eux-mêmes et des autres.
la faiblesse de l'exposé personnel
Elle est due à la minceur du bagage culturel: beaucoup de prestations témoignent d'une
méconnaissance de la littérature du XXe siècle et du monde contemporain. Les lacunes en
histoire sont frappantes, sans même parler de l'histoire littéraire (même si un candidat
a su développer un propos bien informé sur le dadaïsme et le surréalisme). Il conviendrait
d'avoir quelques lumières sur les principales tendances du XXe siècle: surréalisme,
existentialisme, philosophie de l'absurde, nouveau roman, etc... Les références culturelles
au sens large font défaut: cinéma, peinture, musique (2 candidats ayant su toutefois parler
avec passion du requiem de Mozart).
Ces défauts transparaissent à toutes les étapes de l'épreuve. Plus spécifique est la difficulté
à choisir un motif de discussion pertinent, en relation directe avec le texte proposé et
la problématique qu'il engage. Il ne s'agit pas de parler pour ne rien dire en dévidant les
lieux communs les plus éculés ("la vie peut-elle se résumer seulement à une quête du
bonheur ?"), ni de développer une question de cours, empruntée parfois à une discipline
tout autre que le Français. Un exemple significatif: un candidat est interrogé sur la dernière
page de La Peste de Camus où le narrateur ouvre une réflexion à portée philosophique
sur la permanence du mal et l'aptitude des hommes à dévoiler aussi bien ce qu'il y a de pire
et de meilleur en eux; il parcourt le texte à vive allure, sans voir que la maladie, la peste
en l'occurrence, est chargée d'une dimension symbolique, et il aborde avec assurance un exposé
sur... le sida, ses modes de propagation et les traitements actuels. Confondant épreuve de
français et épreuve de biologie, il propose même à l'examinateur (dont l'ahurissement est sans
doute interprété comme le signe d'une incompétence totale en matière de développement
cellulaire) de lui tracer au tableau quelques schémas, ce qu'il fait aussitôt, adoptant un
ton doctoral inadapté à la situation. Ce genre de dérive (d'une maladie à l'autre pourquoi pas,
à partir du moment où l'on est insensible au traitement littéraire et philosophique de ce
problème) est trop fréquent. Le texte n'est pas un prétexte: il offre à l'étudiant attentif,
peu pressé de se rabattre peureusement sur ce qu'il connaît, quelques problématiques
suffisamment ouvertes pour que les centres d'intérêt du candidat puissent se dévoiler.
L'on peut donner quelques exemples de sujets choisis avec pertinence :
le manque d'aptitude à s'exprimer oralement et à communiquer :
L'expression est souvent beaucoup trop relâchée: il convient d'adopter un registre de langue
adapté à un oral de concours et de proscrire le style de la conversation courante, voire
familière ("Ouais, ben... j'sais pas trop quoi dire sur ce texte."). Le recours à un
métalangage littéraire minimal (c'est-à-dire du niveau des classes de Seconde et Première)
est apprécié: l'on sait gré aux candidats de repérer la métaphore filée qui organise un poème,
le jeu des reprises anaphoriques dans un discours théâtral, la rotation des points de vue
dans une page romanesque, la présence de connecteurs logiques et le jeu des implicites dans
un texte argumentatif.
Un candidat, trop absorbé par ses notes, manque de présence et ne parvient pas à établir
le contact avec l'examinateur: la présence se mesure aussi au regard. Il convient de soutenir
l'attention de l'auditoire grâce à une voix bien posée, à un débit contrôlé (ni trop rapide ni
trop lent). Certaines prestations sont ponctuées de longs silences, de phrases ébauchées et
jamais terminées, de redites incessantes (faute de matière). Les candidats, qui ignorent l'art
des transitions, ne savent souvent ni commencer ni clore leur prestation : un coup d'il
embarrassé à l'examinateur est censé demander le feu vert ou alerter maladroitement sur la fin
d'un discours que rien n'annonçait (absence de conclusion). Rappelons le caractère stratégique
de l'introduction et de la conclusion, moments-clefs dans une prestation orale, et que trop de
candidats négligent. Il faut terminer par une synthèse qui mette le point final (certes
provisoire) au discours et à la réflexion. Provisoire puisque le relais est passé à
l'examinateur qui prend la balle au bond: c'est ainsi que peut s'établir le dialogue qui
clôt l'épreuve et révèle l'aptitude à communiquer du candidat, son ouverture d'esprit,
ses qualités d'improvisation.
L'entretien révèle souvent un manque d'esprit de répartie la difficulté à revenir sur un point
pour réviser son jugement illustrer ses propos par des exemples empruntés à tous les domaines
(actualité, histoire, littérature, arts, sciences), argumenter pour défendre son point de vue
ou le nuancer. Les meilleurs candidats, au contraire, savent s'engager dans un véritable
dialogue qui leur permet de gagner des points mérités: l'intelligence est aussi disponibilité
à l'autre et aptitude à se mettre son propre discours à distance dans un écart critique qui
n'exclut pas la fidélité à soi-même.
Pour terminer comme nous l'avons fait pour le rapport 1997, nous présentons ci-dessous un
corpus de textes proposés lors de la session 1998, afin que soient mises en évidence
l'hétérogénéité des extraits choisis, et la présence volontaire de textes littéraires et
non strictement argumentatifs, comme cela peut être le cas pour d'autres concours.
Il va de soi que nous n'exigeons pas la qualité d' interprétation que l'on peut attendre
de candidats à des concours littéraires (E.N.S., CAPES, agrégation) - même si les plus
brillantes prestations ne démériteraient peut-être pas dans d'autres contextes.
Les examinateurs veillent à choisir des textes dont la lisibilité, dans la mesure du possible,
soit assurée: il n'est pas question de cultiver l'hermétisme et de mettre la barre trop haut,
et les passages trop difficiles ne sont pas retenus. Mais les compétences des candidats en
matière de compréhension et d'interprétation sont si diverses que les surprises, heureuses
ou non, sont fréquentes. Tel candidat commet contre-sens sur contre-sens à propos d'un texte
facile d'Alain sur les dangers des examens. Tel autre fait preuve de sensibilité et de
finesse dans la lecture d'un poème d'Aragon, "Strophes pour se souvenir" (Le Roman
inachevé) qui enchâsse des fragments d'une lettre écrite par le résistant Michel Manouchian
à sa femme qui va lui survivre ("Adieu les roses / Adieu la lumière et le vent / Marie-toi sois
heureuse et pense à moi souvent / Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses...".),
distinguant avec aisance les niveaux d'énonciation et la tonalité pathétique du poème.
De même, l'épisode de la descente dans L'Espoir de Malraux a donné lieu à une approche
pertinente, mettant en lumière l'arrière plan historique, le jeu des points de vue, le thème
de la solidarité face à l'angoisse de la blessure et de la mort.
Les textes explicatifs ou argumentatifs, contrairement à ce que l'on pourrait attendre d'élèves
ayant pratiqué depuis la classe de seconde au moins l'exercice du résumé et de l'analyse,
ne sont pas les mieux traités. La structure logique de l'extrait n'est pas perçue, les étapes
du circuit argumentatif non plus; quant à la thèse même lorsqu'elle est formulée avec
insistance et redondance de nombreux candidats ont peine à la définir. Le vocabulaire minimal
(thèse réfutée, thèse soutenue, connecteurs logiques, types d'arguments, exemples...)
n'est pas toujours acquis.
Il faut donc insister sur ce point: les textes officiels n'indiquent qu'une contrainte
le choix d'un texte du XXe siècle (ce qui exige des connaissances solides sur l'histoire
politique, sociale, économique, culturelle et bien sûr littéraire de ce siècle). A priori,
aucun type de texte n'est donc exclu, textes littéraires certes, mais aussi textes ayant des
enjeux historiques, politiques, culturels, humains. L'on attend d'un futur officier
qu'il puisse réfléchir à des problèmes fondamentaux tel celui du rapport avec les autres,
qu'illustraient plusieurs textes du corpus.
Jean Anouilh : |
Antigone |
Guillaume Apollinaire : |
Poèmes à Lou |
Louis Aragon : |
Le Roman inachevé |
Roland Barthes : |
Essais critiques |
Jean Baudrillard : |
La Société de consommation |
Simone de Beauvoir : |
Mémoires d'une jeune fille rangée |
Maurice Blanchot : |
Sade et Lautréamont |
André Breton : |
Manifestes du surréalisme |
Michel Butor : |
Répertoire II |
Albert Camus : |
La Peste ; L'Etranger |
Louis-Ferdinand Céline : |
Voyage au bout de la nuit |
Robert Desnos : |
Destinée arbitraire |
Patrick Devret : |
Huit petites études sur le désir de voir |
Paul Eluard : |
Au rendez-vous allemand |
André Gide : |
Les Faux-monnayeurs |
Jean Giraudoux : |
La Guerre de Troie n'aura pas lieu |
Eugène Ionesco : |
Le Roi se meurt |
Bertrand de Jouvenel : |
Du pouvoir |
Jean-Marie Le Clézio : |
L'Extase matérielle |
Michel Leiris : |
L'Age d'homme |
Claude Lévy-Strauss : |
Tristes Tropiques |
André Malraux : |
La Condition humaine |
Roger Martin du Gard : |
Les Thibault |
Maurois : |
Lettre ouverte à un jeune homme |
Georges Perec : |
Les Choses |
Francis Ponge : |
Méthodes |
Marcel Proust : |
A la Recherche du temps perdu |
Jacqueline de Romilly : |
L'Enseignement en détresse |
Claude Roy : |
Défense de la littérature |
Saint-Exupéry : |
Pilote de guerre |
Danièle Sallenave : |
Le Don des morts |
Nathalie Sarraute : |
L'Ere du soupçon |
Jean-Paul Sartre : |
La Nausée |
Michel Tournier : |
Vendredi ou les limbes du Pacifique |
Paul Valéry : |
Le Bilan de l'intelligence |
Marguerite Yourcenar : |
Les Yeux ouverts |
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