Analyse 1999 :
Rapport du jury

957 copies ont été corrigées ; l'échelonnement des notes va de 1 à 16 ; la moyenne est de 9,3/20 ; les notes comprises entre 8 et 12 ont été celles qui ont été le plus souvent attribuées.

1. Analyse des chiffres

Les chiffres précédents appellent plusieurs remarques

2. Rappels de méthode

La très grande majorité des candidats présente des travaux lisibles du point de vue de la calligraphie et de la présentation, et compréhensibles du point de vue de l'expression. Cela explique que les correcteurs ont eu la satisfaction de ne pas avoir à sanctionner des travaux indignes par des notes éliminatoires, une copie exceptée.

Mais au vu du grand nombre de notes moyennes ou médiocres, on peut regretter que les candidats, pendant leur préparation au concours, tiennent relativement peu compte des conseils qui leur sont donnés dans les rapports des années antérieures. De nombreux défauts persistent, ce qui se traduit évidemment clans la notation.

Ainsi,

on montre que l'on ne maîtrise pas encore la spécificité de l'exercice d'analyse et que l'on n'a pas fait l'effort suffisant pour atteindre un niveau convenable. Négligence d'autant plus coupable que tous ces points ont été exposés de façon détaillée dans les rapports de 1998, 1997, 1996 et 1995. Les correcteurs rappellent que, depuis plusieurs années, ils proposent, en guise de corrigé, une analyse type. Celle-ci ne prétend pas incarner la seule façon de procéder, mais il s'agit de permettre aux candidats de disposer d'exemples concrets d'exercices achevés. Il s'agit aussi de proposer un texte exempt des quelques erreurs ou contresens majeurs pointés au fil des copies.

3. Compréhension du texte

Le texte de Lucien Febvre est extrait d'un classique de l'historiographie contemporaine, dont la lecture préalable n'était bien entendu pas nécessaire. La question inscrite au programme cette année pouvait orienter les choix des concepteurs de sujets vers des textes à la vocation philosophique clairement affirmée. Si le jury a choisi d'aller dans cette direction attendue, il a tenu toutefois à arrêter son choix sur un extrait rédigé dans une langue claire et accessible au plus grand nombre. Il a également veillé à choisir un texte dans lequel la formulation d'enjeux de type historique, sociologique et philosophique découlait de considérations relatives à des phénomènes concrets et quotidiens : modes de vie, habitudes mentales, etc.

La lecture de nombreuses copies a cependant montré aux correcteurs qu'il s'agissait là d'un cadeau empoisonné fait aux candidats. Ces derniers se sont laissé abuser par l'apparente limpidité de l'extrait, sur lequel ils ont plaqué des a priori au lieu d'en restituer les nuances. Un contresens majeur est ainsi revenu de façon lancinante. À en croire beaucoup, L. Febvre « dénoncerait », « critiquerait » les « lacunes », les « manques », les « défauts » d'un XVIe siècle « gaspillant » de façon éhontée un temps précieux dans des productions architecturales pharaoniques.

Ils n'ont pas vu que Lucien Febvre, pointant effectivement de telles caractéristiques, se contente de les décrire et non de les juger. Loin de lui l'idée de les dénoncer au nom d'une naïve métaphysique du progrès posant a priori le caractère étriqué et limité des siècles précédant le nôtre. L'auteur, en historien conséquent, reconstitue la logique d'une mentalité spécifique, qu'il importe de cerner avec d'autant plus de précision que les hommes de cette époque (dont les productions culturelles sont encore présentes aujourd'hui, dans l'institution scolaire notamment) ont l'air de nous ressembler alors qu'il n'en est rien. En plaquant sur le texte des jugements hâtifs, les candidats avouaient implicitement s'en être tenus à une approche superficielle. Un tel défaut ne pouvait être que sanctionné.

Il convenait, on y revient, de ne pas se laisser tromper par l'apparente limpidité du texte. Certes, il est riche en anecdotes, parfois exposées avec un humour auquel certaines copies - c'est heureux - ont été sensibles. Mais il importait de prendre du recul par rapport à ces anecdotes, d'en livrer la « substantifique moelle », pour reprendre des termes immortalisés par Rabelais. Inutile donc de consacrer un feuillet entier à l'évocation des guetteurs en haut des tours, au résumé des états d'âme du sieur de Gomberville ou au décompte (à l'unité près) du nombre de montres en usage sur le continent européen en 1867 (la simple mention de cette date vaut pour cinq mots dans le texte de l'analyse). Il convenait de ne pas s'en tenir aux exemples et autres anecdotes, mais de les synthétiser brièvement pour aborder les questions de fond, et mettre en valeur la spécificité d'une vision du monde et d'une structure mentale caractéristique d'un siècle tout à la fois proche et lointain.

La lecture du roman de Giono inscrit au programme, Les Grands Chemins, aurait pu préparer les candidats à ce type de démarche. Une lecture attentive de cette oeuvre montre en effet qu'il est possible d'aborder des questions métaphysiques essentielles par le biais de situations apparemment simples, inscrites dans le quotidien le plus ordinaire. En privilégiant dans l'analyse une approche trop anecdotique, on s'interdisait d'opérer le lien entre les faits rassemblés par L. Febvre et leurs enjeux, pourtant lisibles à la lumière du programme étudié cette année. Noces évoque aussi le quotidien dans ses aspects les plus ordinaires, mais ne saurait se lire comme un simple album de choses vues et ressenties. Il est dommage que les candidats n'aient pas voulu, ou pas su, mobiliser les acquis du travail accompli en cours. En effet, s'il était hors de question de substituer un collage de souvenirs à une analyse précise du texte proposé, il n'en reste pas moins qu'une réflexion préalable élaborée à partir des oeuvres au programme aurait pu attirer l'attention des candidats sur la nécessité de proposer une analyse à la hauteur des enjeux évoqués.

À titre d'exemple, le jury propose le travail suivant, qui respecte les normes de longueur imposées par le sujet. Il est parfaitement puéril de penser que la simple mention « 329 mots », au bas d'un texte manifestement trop long, suffira à tromper les correcteurs.

Dans un extrait de son ouvrage Le Problème de l'incroyance au XVIe siècle, Lucien Febvre compare la conception contemporaine du temps à celle qui régnait au XVIe siècle. Si la première s'appuie sur les mathématiques, la seconde était empreinte de fantaisie et reposait sur des approximations.

Il y a quelques siècles, les hommes disposaient d'instruments rares et imprécis pour mesurer le temps ; ils se contentaient de simples estimations horaires élaborées à partir de méthodes naturelles, empiriques ou techniquement insolites : clepsydres, bougies, sabliers. Lucien Febvre multiplie les exemples, parfois inattendus, pour nous faire concevoir ce « temps flottant ». Certes, les puissants disposaient de moyens plus nombreux, parfois étonnamment précis, mais le XVIe siècle semble détaché des contraintes horaires, entretenant ainsi un autre rapport au monde et à l'existence.

Progressivement, l'heure, son appréhension mathématique et son découpage arithmétique ont fait leur apparition, imposant une approche rationnelle et quantifiée des actes quotidiens. L'auteur souligne que le temps psychologique et empirique a longtemps rivalisé avec le temps chronologique, jugé trop strict et contraignant. Aujourd'hui, le temps des montres l'emporte, sans pour autant avoir évincé la perception subjective et intuitive de la temporalité. En effet, celle-ci reprend parfois le dessus dans la sphère affective et intime de nos vies.

Le siècle de Rabelais, non seulement faisait fi de toute précision temporelle, mais aussi il distinguait mal histoire et légende, passé et présent, ici et ailleurs. Enfin, loin d'être le matériau mesurable et précieux qu'il représente pour nous, le temps était dépensé sans compter et mis notamment au service de la création artistique.

Notre monde se heurte donc à bien des difficultés lorsqu'il veut appréhender son histoire. L'éloignement temporel se double d'un éloignement des cadres intellectuels et des mentalités. L'historien Lucien Febvre, grande figure de l'École des Annales, tente de les reconstruire pour nous aider à mieux comprendre les œuvres et les questionnements scientifiques du passé.

(325 mots)

4. Expression

Les copies lues cette année n'appellent pas de critiques individualisées, et le propos du jury n'est pas de constituer un bêtisier aussi vain qu'humiliant. Rappelons tout de même quelques points de détail et une évidence globale :

5. Bilan

Rappelons de manière plus constructive, et pour conclure, les quelques principes suivants

Le candidat doit donc construire un texte logique, compréhensible en soi, fidèle aux idées du texte original, rédigé dans une langue claire et personnelle, visant à dégager les principaux procédés d'argumentation.

La force de conviction du propos ne pourra qu'être augmentée dans des copies propres, bien écrites, qui évitent de multiplier taches, ratures et autres marques d'effaceur. Songez toujours à améliorer la présentation de la copie : utilisez correctement lignes et paragraphes, évitez l'emploi de signes de ponctuation en début de ligne, évitez les apostrophes en fin de ligne.

Nous espérons que les futurs candidats trouveront dans ce rapport les conseils de préparation et de rédaction nécessaires pour l'épreuve d'analyse et utiles pour leur future réussite !